• Lever aux aurores, avant en fait, bus de 7h00 vers Mae Sot, Deux heures de route pour 76 kilomètres à cause de trois barrages de police (ils sont permanents ; il y en a beaucoup dans cette région de Thaïlande, en raison des réfugiés Karens et autres) et d'un terrible accident de poids lourd. Le semi-remorque a visiblement percuté de 2/3 face une glissière en béton (hauteur 2m50, c'est un anti-précipice) puis s'est couché. Il ne reste de l'habitacle qu'une galette de 60cm de profondeur. Trois personnes, portant des masques chirurgicaux, nettoient la route au moment où mon bus passe au ralenti. Je détourne le regard pour ne pas rendre mon petit-dèj'.

    La route Tak → Mae Sot est très belle : à travers jungle, à flancs de montagne, toute en boucles amples, montant, descendant sans cesse.

    En arrivant sur Mae Sot, le bus passe au pied de hautes falaises, entre deux pics couverts de jungle, j'ai bien senti, comme d'ailleurs je l'avais fait remarquer à Olivier Girard avant de partir, que Dragon pourrait tout à fait être originaire de la région. Mais La Cité des crânes se passait à Mae Sot ; globalement, je ne veux pas refaire ce que j'ai déjà fait.

    Comme il est tôt, je monte dans le premier taxi collectif pour le nord. Mae Sariang (250 kilomètres, 6 heures minimum) me semble au-dessus de mes forces, malgré les deux cachets de Voltarène avalés au petit-dèj'. Je jette mon dévolu sur Mae Salit (km 113) où je ne me suis jamais arrêté.

    « Mae Sariang, me demande le chauffeur de taxi collectif.

    - Non non, Mae Salit. »

    Il hausse les épaules.

    Le trajet Mae Sot → Mae Salit « vaut le voyage » comme disent certains guides touristiques. Surtout que pour une fois, le conducteur a lui-aussi envie d'arriver vivant et entier. Vous longez des jungles, des vraies, de hautes montagnes couvertes de végétation dense, percée par la blancheur des rares arbres morts, des rivières sauvages, parfois encaissées. Au tout début du trajet, vous longez sur d'interminables kilomètres le camp de réfugiés Karens de Mae La (60 000 réfugiés birmans), tout cerclé de barbelés, lourdes chaînes aux accès. J'ai fait des photos, mais très discrètement, depuis le taxi collectif roulant au pas, à cause de la présence de nombreux militaires sur zone qui ont contrôlé plusieurs fois mes papiers.

    Vers 13h20 mon taxi s'arrête devant un carrefour, celui du Mae Moi National Park et le chauffeur me dit que je suis arrivé à Mae Salit.

    Il n'y a rien à Mae Salit. Quand je dis rien, c'est rien dans le sens « pratique ». Pas d'Internet, pas de téléphone public, pas de marché, pas d'hôtel. Juste un temple, une école, quelques petits magasins, un poste de police, un bureau de poste improbable, quelques maisons qui ne font pas magasin, une guesthouse où personne ne parle anglais et quelques bungalows perdus en pleine jungle, au bord de la rivière, loin de tout, à un gros km de l'arrêt de bus. Je loue un bungalow en utilisant absolument toutes mes réserves de langue thaïe et, première déconvenue, il n'y a pas de moustiquaire. Autant dire que je suis un homme mort si je ne trouve pas vite de quoi faire fuir les moustiques. Il n'y a pas non plus d'eau chaude.

    Une fois d'accord sur le prix du Bungalow, le (jeune) propriétaire me présente son bébé tout juste né et sa femme, qui semble n'avoir guère plus de quatorze ans mais qui en a quand même vingt (di sip).

    La vie est belle. Là, elle est vraiment très belle. Nous sommes au bord de la rivière, à deux cents mètres des jeunes se baignent et pêchent le poisson-chat.

    A 19H00, après avoir écrit sur ma terrasse avec vue sur le fleuve, j'ai un poil faim (mais quelle idée, aussi!). Je me mets en quête de nourriture mais tout est fermé, rideau baissé, sauf le magasin de motos qui ne va pas m'être d'un grand secours. Loin des bungalows, sur la grande route, bien après le temple, une vieille commerçante qui rigole tout le temps me fait signe d'approcher et me sert pour 50 bahts un ragout de piments au chien, un truc de ce genre, c'est délicieux, là n'est pas le problème, mais c'est tellement épicé que je commence à suer, renifler (toute la fin de mon rouleau de PQ y passe). Voyant que l'aiguille de mon potentiomètre piment approche doucement de la zone rouge cramoisi de la crise cardiaque, la vieille me cherche une banane mûre dans son échoppe et me conseille de la manger au plus vite, ce qui en effet règle le problème précédent sans en créer de nouveau.

    Je rentre au bungalow sous la seule lumière des étoiles, autant dire dans le noir complet. La jungle fait un vacarme peu croyable (insectes, oiseaux, hurlements bizarres, heureusement très rares).

    Mon truc anti-moustiques (acheté chez la vieille) à l'air de marcher.

    La coupure d'électricité du soir ne m'empêche pas de regarder sur mon portable Les Nuits de Dracula de Jesus (Jess) Franco... C'est mauvais, mais c'est mauvais...

    Tak → Mae Sot → Mae Salit (29/1)

    Mon carrosse pour Mae Salit (l'équivalent thaïe du taxi-brousse)

    Tak → Mae Sot → Mae Salit (29/1)

    Jeune Thaïe et sa fille attendant le bus

    Tak → Mae Sot → Mae Salit (29/1)

    Mes sacs...

    Tak → Mae Sot → Mae Salit (29/1)

    ... avant qu'on me demande de les sortir du véhicule. Il y a des marchandises à embarquer.

    Tak → Mae Sot → Mae Salit (29/1)

    Camp de réfugié Karen

    Tak → Mae Sot → Mae Salit (29/1)

    Camp de réfugiés karens

    Tak → Mae Sot → Mae Salit (29/1)

    Entrée du camp ; officine de la Karen Women Organisation

    Tak → Mae Sot → Mae Salit (29/1)

    Mon farouche compagnon de voyage - la dernière fois qu'il a ri c'était en 1976, j'avais cinq ans.

    Tak → Mae Sot → Mae Salit (29/1)

    Vue de "mon" bungalow avant installation - sur la berge en face c'est la Birmanie.

    Tak → Mae Sot → Mae Salit (29/1)

    Bungalow vue de la berge

    Tak → Mae Sot → Mae Salit (29/1)

    Poissons-chats à vendre - ne pas mettre les doigts.

    Tak → Mae Sot → Mae Salit (29/1)

    Montagnarde et son bébé.

    Tak → Mae Sot → Mae Salit (29/1)

    Chapelle bouddhiste.

    Tak → Mae Sot → Mae Salit (29/1)

    Bureau de poste de Mae Salit.

    Tak → Mae Sot → Mae Salit (29/1)

    Trop dure, la vie d'écrivain.

     

     


  • (Tak dernier jour - 28/1)

    Ecriture, Elysium, écriture.

    Dehors joue la fanfare du Highschool Support de Tak, une grande parade à buts lucratifs.

    Pour ce qui est de l'écriture, journée magique, j'ai vaincu le chapitre 18 (le seul qui est vraiment insoutenable à mes yeux – il faut qu'il le soit, désolé ; par contre, je crains que le lecteur ne trouve l'ensemble insoutenable), j'ai déroulé jusqu'au chapitre 1 (qui pour le moment est à la toute fin, comme il se doit) ; il ne me reste plus qu'une scène à écrire entièrement, ce ne sera pas la plus dure (j'ai fait le plus dur, je crois – à l'exception du chapitrage, là ça va être complexe), mais c'est de loin la plus métaphysique : celle qui se passe dans la jungle.

    Apichatpong Khomsiri ? Je suis allé dans la jungle et je l'ai tué .

    Pour l'écrire, il faut d'abord aller dans la jungle et y trouver un lieu de pouvoir. C'est la mission (impossible ?) que je me confie pour les quatre jours à venir.

    Vous vous souvenez de cette scène dans L'année du dragon où John Lone (Joey Tai) va en Thaïlande, à la frontière avec la Birmanie pour négocier une énorme quantité d'opium ?

    Cette scène m'impressionne à chaque fois...

    A midi, je suis allé manger une assiette de riz au jarret de porc sur le marché (30 bahts, boisson comprise) – excellent, je n'ai pas pu finir le plat, trop copieux. Ma ceinture en croco cambodgien est au dernier cran, si je continue à mincir comme ça, il me faudra bientôt y faire percer un nouveau trou.

    Sinon la vie (française) continue : les enfant via Skype, Bifrost (pour suivre ce qui se passe, surtout), Olivier Ledroit me demande de réécrire une voix off de Wika, deux contrats à négocier pour Denoël, une 4e de couv' envoyée, la réunion libraires du 10 mars à préparer...

    Quelque part joue une fanfare


  • ... il ne faudra pas être à Bangkok


  • (Chapitre 18)

    [Dragon :]  Apichatpong Khomsiri ? ... Je suis allé dans la jungle et je l'ai tué.

    [Tann:] Où ?

    [Dragon :] 17.187371, 98.788269.

     

    Alors que je faisais mes recherches (en France), j'avais d'abord situé le point d'origines (très particulières) de Dragon dans la région de Mae Sariang que je ne connais guère (un seul séjour) mais qui m'avait impressionné, puis j'ai changé d'avis et je l'ai situé dans la région de Tak (que je ne connaissais pas du tout, aucun séjour). 

    Hier, j'ai décidé de mettre à l'épreuve ce choix. Une fois sorti du Lan Sang National Park (un peu avant midi), j'ai profité d'avoir la moto jusqu'à 18h00 (ne vous fiez pas à l'allure de Pépette, ça monte à plus de 100 ces cochonneries japonaises) et j'ai pris la route de Tak, puis la route de Ban Tak qui longe le Fleuve, route magnifique, et à Ban Tak j'ai pris la 1175 qui relie Ban Tak à Mae Ramat. Itinéraire Google maps : 75,9 km aller. 15 de moins pour ramener la moto.

     

    Circulez en moto en Thaïlande est un jeu d'enfant, la signalisation routière est exemplaire, les routes sont très bonnes. Le seul danger vient des bus des lignes régulières, les chauffeurs sont de véritables psychopathes (le nombre de morts sur les routes en Thaïlande avoisinerait 50 000 par an). Et il faut évidemment faire attention aux buffles d'eau, aux enfants qui traversent et aux chiens errants (je me suis fait mordre plusieurs fois, mais pas hier ; en même temps, les Thaïs leur foutent des coups de pied au passage). Les motos ont des réservoirs de 2L le plus souvent, mais ce sont de vrais chameaux et on trouve de l'essence partout (pompes ou bouteilles vendues par les familles qui commercent leurs légumes au bord des routes).

    Evidemment je me suis arrêté quelques fois pour faire des photos, mais toujours ce problème de brûlis, elles sont moches. Et je n'ai pas pu prendre en photo la plupart des animaux que j'ai vus : poules et coq retournés à l'état sauvage et qui volent, cigognes, hérons, grues,.. 

    Bienvenue dans une Thaïlande qu'aucun voyage organisé vous fera découvrir :

    On the road (

    Cochon de lait à cuire sur le bord de l'autoroute Mae-Sot -> Sukhothai (il y a une voie spéciale motos sur l'autoroute ; parfois prise à contresens !). Il est midi, j'ai faim, je tente une négociation partielle, mais la bête est à vendre en son entier. J'achète quelques fruits à la place ; ils sont délicieux.

    On the road (1175)

    Rizières (l'appareil photo efface les montagnes à l'horizon que l'oeil humain perçoit pourtant bien).

    On the road (1175)

    J'y suis, je ne pourrais jamais être plus proche (du moins à moto) de 17.187371, 98.788269.

    Et ça ne va pas, je suis déçu. Les montagnes sont majestueuses (ce qui ne se voit pas sur la photo), mais c'est trop sec, pas assez dense, il n'y a aucune liane, aucune fougère, aucun bananier sauvage, les arbres ne sont pas assez hauts (le fait que je me trouve en Thaïlande à la fin de la saison sèche ne change rien au problème). Il y avait des arbres de 50 (!) mètres de haut au Lan Sang, des bananiers sauvages, des lianes. Dragon ne peut pas venir d'un endroit pareil. La jungle est comme un sexe féminin, elle doit être moite, chaude, terriblement excitante et toujours garder un peu de mystère. Là, j'en suis loin, pas besoin de machette, je pourrais marcher huit kilomètres dans cette "savane" asiatique sans que rien ne freine vraiment ma progression...

    J'accuse un peu le coup... en sifflant ma bouteille d'eau (il fait 30°, facile) et en mangeant du pamplemousse... ici, ils font 3 kilos pièce et vous achetez des barquettes de quartiers que vous trempez si vous le voulez dans un mélange de sel et de piment (vendu avec, en sachets) - ce que je ne fais pas, j'ai pas vraiment le droit au sel.

    Ce n'est pas la perspective de réécrire ce que j'ai déjà écrit qui m'accable (dans ce cas-là autant changer tout de suite de métier), mais je n'en ai pas eu assez ce matin, pas assez de jungle, pas de vrai lieu de pouvoir. Il y avait des moustiques, des bêtes, de magnifiques papillons, mais tout ça était "apprivoisé". Manquait de sauvagerie.

    Il va me falloir aller à Mae Sariang, ce n'est pas une perspective désagréable, mais la route est éprouvante : 150 km de jungle qu'on parcourt en six heures minimum à partir de Mae Sot, dans un tuk-tuk collectif, autant dire la ruine des lombaires. Un taxi me coûterait sans doute trop cher. On verra à Mae Sot (la ville de La Cité des crânes - j'avais sans doute espéré éviter le "pèlerinage", mais c'est une ville trop puissante. Beaucoup trop puissante).

    Sur la route du retour, je vais saluer Bouddha...

    On the road (1175)

    On the road (1175)

    (Oui oui, il est gigantesque, et encore ce n'est pas le plus grand de Thaïlande, loin de là...)

  • Lever 6h00.

    Petit-déjeuner à 400 bahts (offert, heureusement) parce que si la soupe de nouilles est bonne (la meilleure que j'ai mangée depuis que je suis arrivé), le reste n'est pas fameux. Et pour le thé, du Lipton Yellow ! On mange dix fois mieux au petit marché d'à côté pour 25 bahts (vrai thé offert).

    Marche jusqu'à la station de bus (j'arrive en avance, mais mon bolide est prêt). Je suis tout content.

    Lang Sang National Park

     

    Pépette (la moto) et "Négociatrice en chef".

     

    Inspection de l'engin. Pneus lisses. Réservoir vide. Jauge d'essence cassée, compteur kilométrique cassé (à 23119km), compteur de vitesse cassé. Tout le reste fonctionne parfaitement. Youpi.

    J'inspecte la carte routière une dernière fois : autoroute de Mae Sot, kilomètre 16. Et c'est parti. J'arrive au parc à 8H20, paye l'entrée, gare la moto. J'ai le parc pour moi tout seul et ce sera comme ça jusqu'à mon départ. Le Shutdown commence à faire son effet ?

    Lang Sang National Park

    Lang Sang National Park

    La maison de mes rêves

    Lang Sang National Park

    Premier et dernier pont, par la suite faudra passer à gué.

    Lang Sang National Park

    Graffiti sur un bambou géant

    Lang Sang National Park

    Paysage intérieur

    Lang Sang National Park

    Paysage extérieur (les arbres du fond sont rouges, mais à cause des brûlis on ne le voit pas)

    Lang Sang National Park

    Arbre pétrifié vieux de 800 000 ans

    Lang Sang National Park

    Lieu de pouvoir, mais qui en a perdu beaucoup (je me comprends)

    Lang Sang National Park

    Strangulation

    Lang Sang National Park

    Photo prise au péril de ma vie (trois ! gués à traverser)

    Lang Sang National Park

    Plus de deux heures de marche pour arriver là (ça grimpe tout le temps), mais ça vaut le coup.

    Lang Sang National Park

    Bambous géants (voir photo suivante pour l'échelle)

    Lang Sang National Park

    "Squame" de bambou géant à côté de mon t-shirt (XL) mis à sécher.

    Lang Sang National Park