• Premier taxi-collectif du matin (9h30) pour Ban Tha Son Yang. Un village au bord de la rivière et au milieu des pics de jungle avec un temple au flanc d'une des éminences. Je laisse mon sac au marché pour visiter le village. Il y a de vieilles maisons en bois partout, l'environnement est magnifique. Malheureusement, je n'ai vu aucune guesthouse, aucun homestay, aucun hôtel (sans doute une destination à creuser).

    De retour au marché, un taxi-collectif s'arrête devant moi en klaxonnant.

    « Mae Sariang ?

    - Chai. »

    Je récupère mon sac et j'essaye de me faire une place tant bien que mal entre les familles de montagnards. Ici les hommes portent une espèce de kilt (une pièce de tissus rectangulaire à carreaux qu'il s'enroule et se noue autour des reins). Les voyageurs ont pour la plupart un passe-montagne (j'ai oublié le mien en France).

    Et c'est parti pour deux bonnes heures de « route colombienne ». A travers jungles et montagnes : précipices, glissements de terrain, pont partiellement effondré (que le chauffeur passe en accélérant – c'est un demi-psychopathe, il pousse son engin toujours aux limites de son adhérence, mais au moins, il conduit bien, ce qui le différencie du psychopathe complet), arbres déracinés et tronçonnés des deux côtés juste ce qu'il faut pour que les véhicules passent. Il y en a beaucoup, il y a dû y avoir un coup de vent, je ne vois que ça. La précédente saison des pluies s'est arrêtée en septembre.

    Pour moi, c'est la plus belle région de Thaïlande, ça ne vaut pas le Laos reculé, mais c'est quand même magnifique. Vous en prenez plein les mirettes, tout le temps. Les gens sont adorables, vous papotez dans le taxi en mélangeant anglais et thaï. On se partage des fruits que j'ai achetés à Ban Than Son Yang (plus d'un kilo de fruits divers pour moins d'un euros – 40 bahts).

    A cause de la poussière des nombreux segments non goudronnés, je débarque à Mae Sariang un peu minable pour tout dire, les cheveux transformés en crin. Faute de passe-montagne, j'ai avalé un bon verre de poussière.

    Mae Sariang est une toute petite ville, mais comme elle fait partie du Mae Hon Song loop (la grande boucle moto des montagnes du nord-ouest), il y a une rue dévolue aux touristes étrangers où s'enfilent guesthouses et hôtels plus haut de gamme (rien de délirant toutefois). Je visite trois guesthouses avant de trouver ce que je cherche : une chambre avec un bureau pour pouvoir travailler et le wi-fi. Ici c'est cher, ils abusent. J'ai vu à 300 bahts des chambres pourries sans sanitaires. C'est un peu touristland : des backpackers, un vieux couple sympathiques, deux jeunes étrangers avec leur money girls (ces filles qui contre un peu d'argent voyagent avec vous) garent leur moto devant moi. Je les observe cinq minutes (on va éviter de faire une photo) : pauvres types, ils doivent regretter d'avoir embarquer les michetonneuses à Bangkok ou plus probablement à Chiang Mai (pas loin), elles ont l'air proprement insupportables.

    Après une douche brûlante, un changement complet de vêtements, je vais manger un poisson au bord de la rivière et boire une bière. Le poisson est délicieux (vous le payez au poids dans presque tous les restaurants thaïs, mieux vaut demander le prix avant). Le mieux c'est encore d'aller en cuisine le choisir et marchander le prix.

    L'après-midi, skype avec le boss de Bifrost, tour de ville en long, en large et en travers (il y a plein de magasins de pêche – ça ne me déplairait pas d'aller pêcher, tiens.) Il y a un type qui fabrique des couteaux et des machettes (ouf, il ne prend pas la carte bleue), à son stade, ce n'est plus de l'artisanat, c'est de l'art. Je passe chez le barbier.

    Je m'éloigne de Touristland pour dîner. Il y a plein de gargotes « marrantes » près de la gare routière.

    Dans mon lit (panne d'internet), je regarde Meurtres sous contrôle une étonnante série B de Larry Cohen, mal filmée, mal jouée (du Larry Cohen, quoi...), mais pas inintéressante.

    Mae Salit → Mae Sariang (30/1)

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     Ce qu'on ne voit pas sur la photo : il y a des montagnes derrière les montagnes, celles de la Birmanie.

    Mae Salit → Mae Sariang (30/1)

    Ban Tha Son Yang

    Mae Salit → Mae Sariang (30/1)

    Poisson au premier plan, rivière au second plan.


  • Pas beaucoup dormi...

    Une bonne partie de la nuit, des bateaux ont « traffiqué » sur le fleuve entre la Thaïlande et la Birmanie ; ça a commencé vers 3H00 et ça m'a réveillé. Il faisait alors un froid de gueux, vite le pantalon et la veste. Vers cinq heures, alors que je commençais à me rendormir (habillé pour Courchevel à la même époque), les coqs ont commencé à chanter (une bonne heure avant le lever du soleil, je vous raconte pas les envies de coq au vin – même au petit-dèj, j'aurais fait un effort) et il s'est mis à pleuvoir. En fait non, c'est la rosée de la nuit accumulée sur les feuilles des arbres qui perdait son combat contre la gravité.

    Ploc, ploc, ploc.

    Je suis sorti sur la terrasse regarder la jungle s'éveiller doucement. Odeurs de feu de bois, de terre mouillée, chants d'oiseaux.

    J'ai installé l'ordinateur (au sec) et j'ai un peu écrit. J'aurais volontiers donné un tiers de mon âme (celui qui ne me sert jamais) pour une tasse de lapsang souchong brûlante... mais j'ai dû me contenter de ma bouteille d'eau et de ma dernière barquette de cerises séchées. Quand le soleil s'est enfin levé, une brume épaisse noyait la jungle.

     

    Mae Salit (29/1 → 30/1)

     

     

     


  • Lever aux aurores, avant en fait, bus de 7h00 vers Mae Sot, Deux heures de route pour 76 kilomètres à cause de trois barrages de police (ils sont permanents ; il y en a beaucoup dans cette région de Thaïlande, en raison des réfugiés Karens et autres) et d'un terrible accident de poids lourd. Le semi-remorque a visiblement percuté de 2/3 face une glissière en béton (hauteur 2m50, c'est un anti-précipice) puis s'est couché. Il ne reste de l'habitacle qu'une galette de 60cm de profondeur. Trois personnes, portant des masques chirurgicaux, nettoient la route au moment où mon bus passe au ralenti. Je détourne le regard pour ne pas rendre mon petit-dèj'.

    La route Tak → Mae Sot est très belle : à travers jungle, à flancs de montagne, toute en boucles amples, montant, descendant sans cesse.

    En arrivant sur Mae Sot, le bus passe au pied de hautes falaises, entre deux pics couverts de jungle, j'ai bien senti, comme d'ailleurs je l'avais fait remarquer à Olivier Girard avant de partir, que Dragon pourrait tout à fait être originaire de la région. Mais La Cité des crânes se passait à Mae Sot ; globalement, je ne veux pas refaire ce que j'ai déjà fait.

    Comme il est tôt, je monte dans le premier taxi collectif pour le nord. Mae Sariang (250 kilomètres, 6 heures minimum) me semble au-dessus de mes forces, malgré les deux cachets de Voltarène avalés au petit-dèj'. Je jette mon dévolu sur Mae Salit (km 113) où je ne me suis jamais arrêté.

    « Mae Sariang, me demande le chauffeur de taxi collectif.

    - Non non, Mae Salit. »

    Il hausse les épaules.

    Le trajet Mae Sot → Mae Salit « vaut le voyage » comme disent certains guides touristiques. Surtout que pour une fois, le conducteur a lui-aussi envie d'arriver vivant et entier. Vous longez des jungles, des vraies, de hautes montagnes couvertes de végétation dense, percée par la blancheur des rares arbres morts, des rivières sauvages, parfois encaissées. Au tout début du trajet, vous longez sur d'interminables kilomètres le camp de réfugiés Karens de Mae La (60 000 réfugiés birmans), tout cerclé de barbelés, lourdes chaînes aux accès. J'ai fait des photos, mais très discrètement, depuis le taxi collectif roulant au pas, à cause de la présence de nombreux militaires sur zone qui ont contrôlé plusieurs fois mes papiers.

    Vers 13h20 mon taxi s'arrête devant un carrefour, celui du Mae Moi National Park et le chauffeur me dit que je suis arrivé à Mae Salit.

    Il n'y a rien à Mae Salit. Quand je dis rien, c'est rien dans le sens « pratique ». Pas d'Internet, pas de téléphone public, pas de marché, pas d'hôtel. Juste un temple, une école, quelques petits magasins, un poste de police, un bureau de poste improbable, quelques maisons qui ne font pas magasin, une guesthouse où personne ne parle anglais et quelques bungalows perdus en pleine jungle, au bord de la rivière, loin de tout, à un gros km de l'arrêt de bus. Je loue un bungalow en utilisant absolument toutes mes réserves de langue thaïe et, première déconvenue, il n'y a pas de moustiquaire. Autant dire que je suis un homme mort si je ne trouve pas vite de quoi faire fuir les moustiques. Il n'y a pas non plus d'eau chaude.

    Une fois d'accord sur le prix du Bungalow, le (jeune) propriétaire me présente son bébé tout juste né et sa femme, qui semble n'avoir guère plus de quatorze ans mais qui en a quand même vingt (di sip).

    La vie est belle. Là, elle est vraiment très belle. Nous sommes au bord de la rivière, à deux cents mètres des jeunes se baignent et pêchent le poisson-chat.

    A 19H00, après avoir écrit sur ma terrasse avec vue sur le fleuve, j'ai un poil faim (mais quelle idée, aussi!). Je me mets en quête de nourriture mais tout est fermé, rideau baissé, sauf le magasin de motos qui ne va pas m'être d'un grand secours. Loin des bungalows, sur la grande route, bien après le temple, une vieille commerçante qui rigole tout le temps me fait signe d'approcher et me sert pour 50 bahts un ragout de piments au chien, un truc de ce genre, c'est délicieux, là n'est pas le problème, mais c'est tellement épicé que je commence à suer, renifler (toute la fin de mon rouleau de PQ y passe). Voyant que l'aiguille de mon potentiomètre piment approche doucement de la zone rouge cramoisi de la crise cardiaque, la vieille me cherche une banane mûre dans son échoppe et me conseille de la manger au plus vite, ce qui en effet règle le problème précédent sans en créer de nouveau.

    Je rentre au bungalow sous la seule lumière des étoiles, autant dire dans le noir complet. La jungle fait un vacarme peu croyable (insectes, oiseaux, hurlements bizarres, heureusement très rares).

    Mon truc anti-moustiques (acheté chez la vieille) à l'air de marcher.

    La coupure d'électricité du soir ne m'empêche pas de regarder sur mon portable Les Nuits de Dracula de Jesus (Jess) Franco... C'est mauvais, mais c'est mauvais...

    Tak → Mae Sot → Mae Salit (29/1)

    Mon carrosse pour Mae Salit (l'équivalent thaïe du taxi-brousse)

    Tak → Mae Sot → Mae Salit (29/1)

    Jeune Thaïe et sa fille attendant le bus

    Tak → Mae Sot → Mae Salit (29/1)

    Mes sacs...

    Tak → Mae Sot → Mae Salit (29/1)

    ... avant qu'on me demande de les sortir du véhicule. Il y a des marchandises à embarquer.

    Tak → Mae Sot → Mae Salit (29/1)

    Camp de réfugié Karen

    Tak → Mae Sot → Mae Salit (29/1)

    Camp de réfugiés karens

    Tak → Mae Sot → Mae Salit (29/1)

    Entrée du camp ; officine de la Karen Women Organisation

    Tak → Mae Sot → Mae Salit (29/1)

    Mon farouche compagnon de voyage - la dernière fois qu'il a ri c'était en 1976, j'avais cinq ans.

    Tak → Mae Sot → Mae Salit (29/1)

    Vue de "mon" bungalow avant installation - sur la berge en face c'est la Birmanie.

    Tak → Mae Sot → Mae Salit (29/1)

    Bungalow vue de la berge

    Tak → Mae Sot → Mae Salit (29/1)

    Poissons-chats à vendre - ne pas mettre les doigts.

    Tak → Mae Sot → Mae Salit (29/1)

    Montagnarde et son bébé.

    Tak → Mae Sot → Mae Salit (29/1)

    Chapelle bouddhiste.

    Tak → Mae Sot → Mae Salit (29/1)

    Bureau de poste de Mae Salit.

    Tak → Mae Sot → Mae Salit (29/1)

    Trop dure, la vie d'écrivain.

     

     


  • (Tak dernier jour - 28/1)

    Ecriture, Elysium, écriture.

    Dehors joue la fanfare du Highschool Support de Tak, une grande parade à buts lucratifs.

    Pour ce qui est de l'écriture, journée magique, j'ai vaincu le chapitre 18 (le seul qui est vraiment insoutenable à mes yeux – il faut qu'il le soit, désolé ; par contre, je crains que le lecteur ne trouve l'ensemble insoutenable), j'ai déroulé jusqu'au chapitre 1 (qui pour le moment est à la toute fin, comme il se doit) ; il ne me reste plus qu'une scène à écrire entièrement, ce ne sera pas la plus dure (j'ai fait le plus dur, je crois – à l'exception du chapitrage, là ça va être complexe), mais c'est de loin la plus métaphysique : celle qui se passe dans la jungle.

    Apichatpong Khomsiri ? Je suis allé dans la jungle et je l'ai tué .

    Pour l'écrire, il faut d'abord aller dans la jungle et y trouver un lieu de pouvoir. C'est la mission (impossible ?) que je me confie pour les quatre jours à venir.

    Vous vous souvenez de cette scène dans L'année du dragon où John Lone (Joey Tai) va en Thaïlande, à la frontière avec la Birmanie pour négocier une énorme quantité d'opium ?

    Cette scène m'impressionne à chaque fois...

    A midi, je suis allé manger une assiette de riz au jarret de porc sur le marché (30 bahts, boisson comprise) – excellent, je n'ai pas pu finir le plat, trop copieux. Ma ceinture en croco cambodgien est au dernier cran, si je continue à mincir comme ça, il me faudra bientôt y faire percer un nouveau trou.

    Sinon la vie (française) continue : les enfant via Skype, Bifrost (pour suivre ce qui se passe, surtout), Olivier Ledroit me demande de réécrire une voix off de Wika, deux contrats à négocier pour Denoël, une 4e de couv' envoyée, la réunion libraires du 10 mars à préparer...

    Quelque part joue une fanfare